Une liberté foncière illusoire
Article du 16 AVRIL 2015 - PAR RÉGIS GULLON, ARCHITECTE ET JURISTE.
L'ARCHITECTE AU SERVICE DES TERRITOIRES.
Dans un récent article du Monde (12 mars 2015), Vincent Bénard propose une panacée, destinée à garrotter la hausse des prix du foncier constructible, donc à réduire la crise du logement : « Pour faire baisser le prix du logement, il faut inverser le dogme de l’inconstructibilité « a priori » des terrains ». Et, au travers d’un échantillon très réduit, bien éloigné des réalités françaises, il entend démontrer que la liberté donnée aux élus par la mesure proposée, de rendre leur territoire urbanisable « a priori », ne peut que déboucher sur une abondance du foncier constructible, et sur le déploiement d’une cité économiquement attractive, socialement cosmopolite, et culturellement « vibrante ».
La plaidoirie est habile : Puisque l’aménagement urbain, plombé par le poids des règles et des contraintes, ne produit plus les espaces disponibles au rythme où les besoins apparaissent, ce qui alimente la hausse des prix, « libérons le foncier » ! La libéralisation de l’urbanisme réglementaire entrainera l’apparition de vastes espaces utilisables pour la construction des logements tant attendus. Le coût du foncier baissera, le prix du logement baissera… Si la hausse des taux d’intérêt n’absorbe pas la marge nouvelle.
La plaidoirie est habile, certes, mais la liberté revendiquée est, au mieux inutile, au pire délétère.
Cette liberté est inutile, ou presque : quelque malthusiens que Vincent Bénard les présente, les Plans Locaux d’Urbanisme (les PLU), qui déterminent la constructibilité ou le gel des terrains nus, n’ont pas empêché une expansion vertigineuse de l’espace urbanisé au cours de la dernière décennie : Chaque année, en France, environ 82.000 hectares ont été distraits de leur état naturel, forestier ou agricole, et artificialisés au profit de nappes pavillonnaires, de centres commerciaux et de zones logistiques, ou encore d’infrastructures surdimensionnées.
Les PLU reposent pourtant sur un principe simple : Les terres agricoles doivent être préservées « en raison de leur potentiel agronomique, biologique, ou économique » ; l’agriculture demeure un pan essentiel de l’économie française. De même, les espaces naturels doivent être protégés « en raison de la qualité des sites, des milieux, et des paysages » ; le droit de chacun à un environnement naturel équilibré est un fondement de la Charte de l’Environnement. Ces derniers, les espaces naturels, doivent aussi être réservés dans les villes, afin que soient maintenus des liens entre les « urbains » et leurs racines, et préservée la biodiversité.
Ainsi, dans les PLU, les espaces urbanisables sont déjà conçus comme le solde des espaces protégés à un titre quelconque. Le « dogme de l’inconstructibilité « a priori » des terrains » est un mirage.
Cette liberté est délétère, aussi : Elle débouchera sur une poursuite de l’étalement urbain, avec son cortège de séquelles sociales et économiques. L’étalement urbain dégrade les espaces naturels, et spécialise les territoires, il accentue la fracture sociale entre ces derniers (du « quartier sensible » à l’ »îlot protégé »), et entre les habitants de ces ensembles, il accroît les déplacements motorisés, et, par ricochet, amplifie les nuisances (la pollution, le bruit, le stress) de la vie urbaine ; l’étalement urbain multiplie les charges publiques (les voiries, les réseaux divers, les transports collectifs), il épuise les budgets communaux et accentue la pression fiscale.
Les coûts environnementaux et financiers de l’étalement urbain compenseront donc vite la baisse du foncier.
Pour faire baisser le prix du logement, il faut, certes assouplir les règles dans les zones urbaines des PLU, mais aussi inscrire les politiques urbaines et foncières dans un contexte plus large.
Une récente page thématique du Monde (23 février 2015) montrait que des logements vides existent dans de nombreuses villes françaises, souvent des villes moyennes proches des futures métropoles. Si l’Ile-de-France ne concentre plus, comme au temps du « désert français », l’essentiel des pouvoirs et des richesses, elle conserve au terme de la réforme territoriale, son caractère de « trou noir » : Elle accueille près de 12 millions d’habitants sur un territoire maintenu de 12.000 km2, tandis que la future Aquitaine, étendue au Poitou et au Limousin, en regroupera moins de 6 millions sur une superficie de 84.000 km2.
Une autre politique d’aménagement permettra d’assurer l’équilibre, sinon l’égalité, des territoires. Elle permettra, notamment par la régionalisation des services publics centraux, de revitaliser dans les régions le réseau des « villes satellites » autour des métropoles.
Accompagnée par la densification des espaces urbanisés déjà constitués, dans les villes comme dans les villages, cette politique épargnera les espaces naturels, préservera les terres agricoles, et rendra aux villes leur attractivité aussi bien que leur mixité sociale. Dans les métropoles, et surtout en Ile-de-France, elle permettra enfin d’atténuer la pression foncière, donc de baisser le prix des logements.
Régis GULLON, architecte et juriste, auteur de plusieurs Plans Locaux d’Urbanisme en milieu rural, ancien conseiller régional de l’Ordre des Architectes